Le processus d’ajustement est obligatoire pour le débiteur et facultatif pour le créancier. Si le créancier choisit ou non de réaliser sa part de l’ajustement, il ne souffre d’aucun inconvénient.
John Maynard Keynes (1941).
À l’approche des élections européennes de mai prochain, plusieurs partis politiques d’horizons variés proposent que les pays du Sud de la zone euro (France incluse) quittent l’union monétaire afin de dévaluer leur monnaie nationale pour regagner de la compétitivité. Avant de poursuivre, nous pouvons faire deux remarques qui contribueront à la clarté de l’exposé. Premièrement, la compétitivité au sens large inclut la compétitivité prix et la compétitivité hors prix. Le premier concept concerne le prix des produits échangés à l’étranger et le second correspond à la qualité des produits échangés à l’étranger. La dévaluation permet d’augmenter la compétitivité prix dans la mesure où les biens échangés auront un prix inférieur à celui des concurrents lorsqu’ils seront exprimés dans la même monnaie. Ainsi, à court terme, la dévaluation ne concerne pas la qualité des produits échangés avec l’étranger. Deuxièmement, la compétitivité est un concept relatif. Un pays, une entreprise, une équipe de football est toujours compétitive par rapport à ses partenaires ou concurrents.
Revenons aux bénéfices que pourraient induire cette amélioration de la compétitivité des pays du Sud. Ces gains de compétitivité par rapport au reste de la zone euro permettraient de stimuler la croissance par le biais des exportations. In fine, un regain de croissance dans les pays du Sud permettrait de réduire les taux de chômage stratosphériques qui ont été observés depuis le déclenchement de la crise des dettes souveraines en 2010.
Cette note propose d’étudier les différentes voies par lesquelles la zone euro pourrait réduire les déséquilibres de compétitivité. En particulier, nous souhaitons insister sur le fait que la proposition selon laquelle « une dévaluation de la monnaie à la suite d’une sortie de la zone euro est le seul et unique moyen de restaurer la compétitivité des pays du Sud » est fausse. En effet, il existe plusieurs moyens de réduire les déséquilibres de compétitivité dans la zone euro d’un point de vue macro-économique. Nous allons présenter les avantages et les inconvénients de quatre mécanismes qui permettraient de réduire les déséquilibres de compétitivité au sein de la zone euro, à savoir, la dévaluation externe, l’union de transfert, la dévaluation interne et la réévaluation interne.
1. Dévaluation externe
Commençons par la dévaluation externe, qui n’est rien d’autre que la sortie de la zone euro pour pouvoir dévaluer sa monnaie nationale. Cette solution est très souvent avancée comme la panacée pour sortir de la crise de la zone euro par plusieurs partis politiques souverainistes européens. Le mécanisme est assez simple avec leurs nouvelles monnaies dévaluées, les pays du Sud pourraient relancer leurs exportations (grâce au gain de compétitivité prix par rapport au Nord) vers le Nord de l’Europe et ainsi relancer leur croissance et réduire leur taux de chômage. Si les avantages de la dévaluation externe semblent être assez séduisants, ils pourraient ne peser pas très lourds face aux perturbations gigantesques sur les marchés financiers internationaux que provoquerait l’annonce d’un éclatement de la zone euro qui mettrait en péril le projet européen dans son ensemble. Certains experts, comme Barry Eichengreen, anticipent qu’un éclatement de la zone euro pourrait déclencher la « mère de toutes les crises financières ». Pour conclure sur ce point, il existe de grands doutes sur le fait que la dévaluation externe ait un impact positif en définitive. Notamment, cela présuppose une absence de réaction de la part des partenaires commerciaux du pays qui dévalue sa monnaie, qui n’est absolument pas garantie.
2. Union de transfert
Une solution qui est très peu mise en avant par les partis politiques souverainistes européens est la mise en place de transferts budgétaires dans le cadre d’une union de transfert dans la zone euro. Cette solution implique une perte de souveraineté nationale et c’est pour cette raison qu’elle n’est pas mise en avant pas les partis souverainistes. Prenons l’exemple de la France, il existe certaines régions françaises qui ont des problèmes de compétitivité évidents (par rapport à la moyenne nationale) et des taux de chômage plus importants que la moyenne nationale. Nous pouvons citer la Corse ou La Réunion à titre d’exemple. Pour assurer la cohésion nationale, le pouvoir central transfère des fonds vers ces régions afin qu’elles puissent moderniser leurs structures productives, stabilisent leurs taux de chômage et in fine rejoindre la moyenne nationale. Eh bien, c’est exactement ce qui se passe dans la zone euro !
Certaines « régions » de la zone euro comme le Portugal ou la Grèce connaissent des problèmes de compétitivité évidents (par rapport à la moyenne de la zone euro) et des taux de chômage plus importants que la moyenne de la zone euro. Ils pourraient bénéficier de transferts pour moderniser leurs structures productives et ainsi améliorer leur compétitivité hors-prix. Le problème qui se pose ici est la légitimité politique de tels transferts. À l’échelle d’un état comme la France, la question ne se pose pas les régions plus riches paient pour aider les régions plus pauvres à les rattraper pour le bien de la nation, mais, à l’échelle de la zone euro, les pays les plus riches sont très réticents face à l’idée d’aider des pays plus pauvres qu’ils considèrent comme coupable de laxisme et responsable de la crise. L’union monétaire européenne étant incomplète (pas d’union politique), cette solution pourtant prometteuse à peu de chance d’être discutée !
3. Dévaluation interne
Le mécanisme qui a été privilégié depuis le début de la crise pour réduire les déséquilibres de compétitivité dans la zone euro est la dévaluation interne. Il s’agit ici d’obtenir des gains de compétitivité prix en comprimant la demande interne (par le gel des salaires des fonctionnaires par exemple et plus généralement par une compression des coûts salariaux) afin de réduire le taux d’inflation par rapport à ces concurrents et ainsi avoir des prix plus faibles que ces concurrents. Le mécanisme est similaire à celui de la dévaluation externe, mais il est généralement admis que la dévaluation interne est moins efficace que la dévaluation externe. Surtout, les politiques de dévaluation interne menés par les pays du Sud de la zone n’ont pas permis d’améliorer la compétitivité-prix des pays du Sud dans la mesure où la résorption des déficits externes est principalement due à ralentissement de la croissance en raison d’une demande agrégée qui est trop faible à l’heure actuelle. C’est un peu comme si le traitement avait tué le patient et que le médecin était satisfait d’avoir vaincu la maladie ! Par ailleurs, la contraction de la demande interne induite par la dévaluation interne a conduit les pays du Sud comme la Grèce à voir leur ratio dette/PIB augmenté mécaniquement, du fait d’une réduction du PIB. Les efforts de ces pays en termes d’assainissement des finances publiques se sont ainsi vu amoindrit.
4. Réévaluation interne
IV. Une dernière voie qui nous semble la plus souhaitable est celle de la réévaluation interne. Le mécanisme est similaire à celui de la dévaluation interne, mais dans le sens inverse. L’Allemagne, en acceptant des niveaux de prix plus élevés et de relancer sa demande interne par une revalorisation du niveau des salaires allemands, permettrait à la fois de relancer la croissance au sein de la zone euro et de réduire les déséquilibres de compétitivité dans la mesure où la perte de compétitivité prix subit par l’Allemagne sera compensée par la position très favorable de l’économie allemande en termes de compétitivité hors-prix (la fameuse deutsche qualitat). Cela permettrait d’écarter le spectre de la déflation qui rend les ajustements plus difficiles puisque la déflation renchérit la valeur des dettes publiques et privées en termes réels (valeur nominale corrigée de l’inflation) notamment celles des pays du Sud.
Un autre argument qui est souvent mobilisé est que la zone euro devrait avoir une politique de change plus agressive. Dans l’état actuel de l’économie mondial, il est fort douteux que des tensions supplémentaires sur le marché des changes puissent être bénéfiques. Par ailleurs, une dévaluation de l’euro ne permettrait pas de gains de compétitivité par rapport au reste de la zone pour les pays qui commercent en majorité avec les pays de la zone euro. Ce qui est le cas pour la plupart des pays du Sud.
Réduire les déséquilibres macroéconomiques dans la zone euro est une condition sine qua none pour sortir définitivement de la crise de la zone euro et repartir sur des bases saines.
Nota bene : Cette note a été coécrite avec Thomas Coudert et est disponible sur le site ERMEES.